
Markets and Insights #6 : Le bio-mimétisme au service de la transition énergétique
Alors que la COP26 de Glasgow vient de s’achever et que le GIEC s’apprête à publier un rapport sur le changement climatique dont les premiers extraits sont alarmistes, le sujet de la transition énergétique est plus que jamais sur le devant de la scène. Les scientifiques comme les pouvoirs publics sont à la recherche de solutions qui permettraient de recourir à des sources d’énergie plus propres et à des modes de consommation moins dispendieux, notamment sur le plan environnemental. Face à ces nouveaux défis, le bio-mimétisme creuse son chemin et pourrait s’imposer comme l’un des outils de la transition énergétique en raison des répercussions multiples de cette approche.
Concepts de bio-mimétisme & bio-inspiration
Les concepts de bio-mimétisme et de bio-inspiration sont encore relativement confidentiels, pourtant derrière ces deux termes quelque peu obscurs se cachent des réalités bien connues de tous. Le bio-mimétisme consiste à innover et à développer des processus d’ingénierie en appliquant et en extrapolant ce que les végétaux et les animaux savent faire. De tout temps, l’humain s’est inspiré de la nature et l’exemple le plus cité lors ce que l’on évoque le bio-mimétisme est celui du velcro. Cette technologie a été inventé grâce à l’observation d’une plante appelée bardane. Cette plante est dotée de crochets qui peuvent se faire, se défaire et reprendre leur forme, ce qui lui permet de disséminer ses semences. De nombreuses autres « inventions » peuvent ainsi être qualifiées de bio-mimétisme, et le champ des possibles en la matière est très vaste, tout particulièrement en ce qui concerne les applications pour la transition énergétique.
La notion de bio-mimétisme est d’inspiration ancienne mais elle n’a été théorisée que récemment par Janine Benyus dans un ensemble d’ouvrages dont son livre « Bio-mimétisme : quand la nature inspire des innovations durables » paru en 1998. Le Larousse quant à lui définit le bio-mimétisme comme étant une « démarche d’innovation durable qui consiste à transférer et à adapter à l’espèce humaine les solutions déjà élaborées par la nature (faune, flore, etc.) ».
Pour bien illustrer l’intérêt et les enjeux du bio-mimétisme, nous pouvons citer l’exemple du fil d’araignée. Cet animal est connu pour tisser un fil qui a des propriétés physiques incomparables : d’une légèreté extrême, il est également très élastique, incroyablement résistant - à titre d’exemple trois fois plus que le kevlar et cinq fois plus que l’acier - et capable d’absorber de grands chocs. Le fil d’araignée est par ailleurs biodégradable et biocompatible, c’est-à-dire toléré par l’organisme humain. Réussir à reproduire artificiellement ce matériau ouvrirait la voie à des applications très diverses : de la toile de parachute, des casques de protection, des câbles de suspension légers mais résistants, des gilets pare-balles ou bien encore du fil chirurgical. Plus intéressant encore sur le plan environnemental, les équipes de chercheurs qui ont déjà réussi à fabriquer un fil se rapprochant de la soie d’araignée l’ont fait en respectant le procédé naturel : l’araignée tisse sa toile à température ambiante et en utilisant essentiellement de l’eau. En s’inspirant de cet arachnide, l’humain pourrait créer un matériau aux propriétés extraordinaires avec un impact environnemental bien plus limité que celui de la production de nylon qui fait appel à des solvants chimiques polluants et nécessite une température très haute. L’industrie du textile, réputée très dommageable pour l’environnement, pourrait se trouver révolutionnée par une telle avancée. Pour l’heure, de nombreuses équipes de recherche ont mis au point des procédés de fabrication mais aucune équipe n’a réussi à porter son projet à une échelle valable sur le plan industriel.
Cet exemple met en avant l’un des intérêts principaux du bio-mimétisme : les organismes vivants se perfectionnent depuis des milliards d’années au travers de la sélection naturelle en sont donc arrivés à des modes de fonctionnement très étudiés. Qui plus est, la nature a toujours pour objectif d’optimiser son fonctionnement plutôt que de le maximiser : consommer le moins d’énergies et de ressources possibles pour arriver à une puissance et une efficacité maximale.
Innover de façon durable
Pour revenir plus spécifiquement à la transition énergétique, le bio-mimétisme conduit à la mise au point de solutions qui permettent de produire de l’énergie « propre » de manière plus efficiente. En matière d’énergie solaire par exemple, des recherches sont menées pour produire une photosynthèse artificielle directement inspirée du monde végétal. Les plantes – et certains animaux – ont en effet la capacité de capter l’énergie solaire pour la transformer en une réserve d’énergie utilisable dans le futur : grâce à l’énergie interceptée, les plantes produisent une réaction entre le dioxyde de carbone (CO2) et l’eau, ce qui entraîne à son tour la production de molécules carbonées. Des équipes essaient donc depuis plusieurs années de copier ce mode opératoire qui aurait l’avantage de générer de l’électricité ou de l’hydrogène de façon optimale et verte tout en captant du CO2 présent dans l’atmosphère. L’hydrogène est une source d’énergie très utilisée, mais dont la production est pour le moment majoritairement polluante, or le développement d’un écosystème autour de l’hydrogène « vert » fait actuellement l’objet de plans publics ambitieux qui pourrait s’appuyer sur cette démarche.
Autre exemple avec l’énergie éolienne et une entreprise tunisienne qui a entrepris de révolutionner la production d’électricité grâce à des turbines qui s’inspirent des battements d’ailes du colibri. Ces éoliennes d’un genre nouveau subissent moins de déperdition, peuvent être actives en cas de vents forts et nécessitent moins de surface au sol ce qui permet d’en installer plus par zone visée et de démultiplier la captation d’énergie. Enfin parmi les pistes de réflexion à retenir, la conception de bâtiments moins énergivores comme c’est par exemple le cas d’un centre commercial au Zimbabwe qui s’inspire de la forme d’une termitière pour optimiser sa climatisation.
Ces initiatives variées illustrent bien l’intérêt du bio-mimétisme qui permettrait d’accélérer la nécessaire transition énergétique. Outre le fait que cette méthodologie peut s’appliquer à des échelles variées, nano comme macro, elle peut concerner tous les pans de notre vie : biologie, médecine, architecture, physique, etc. Il s’agit d’un modèle intrinsèquement soutenable qui vise à réconcilier l’activité humaine avec la préservation de la biodiversité et des ressources.
On constate un regain d’intérêt pour le sujet depuis quelques années. Dès 2007 le Sénat français le mettait en avant dans un de ses rapports comme étant l’un des outils de la nouvelle révolution industrielle et le CNRS en a fait l’une de ses priorités stratégiques pour la période 2020-2023. Nombre d’initiatives visent par ailleurs à rendre cette démarche plus connue et plus répandue. Au-delà des déclarations d’intention, l’investissement public semble être encore très faible au vu du potentiel du bio-mimétisme. Le mouvement n’est donc probablement qu’à l’orée d’une croissance forte.
Amorce d'un vaste potentiel
Un rapport économique de l’institut Fermanian Business & Economic Institute publié en 2010 estimait ainsi que d’ici 2025, ce marché pourrait représenter 1000 milliards de dollars et employer 1,6 millions de personnes aux États-Unis. Ce rapport comporte certains biais et les hypothèses qui y sont faites peuvent être qualifiées d’optimistes, mais elles ont le mérite d’imaginer l’essor que ce marché pourrait connaître. On peut supposer raisonnablement que des flux de capitaux conséquents sont à attendre dans les années à venir et il est vraisemblable qu’avec le temps l’on assiste au développement d’un véritable marché selon des phases assez classiques. D’ores et déjà des start-ups émergent comme c’est le cas actuellement avec Bioxegy en France, qui accompagne les équipes de R&D de grands groupes industriels pour concevoir des solutions bio-inspirées. Ces grands groupes sont également amenés à travailler sur ces sujets en interne et une plus grande intégration du marché pourrait avoir lieu dans un deuxième temps.
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